Humeur

Vendanges amères

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Emmanuelle de Jesus.

« Tout ça pour ça ! », a résumé, plutôt fataliste et désabusé, le président de la Maison Joseph Drouhin Frédéric Drouhin lorsque je lui ai demandé son sentiment sur les vendanges qui viennent de s’achever. « Un gros travail pour nos équipes que je félicite car la météo nous a mis beaucoup de bâtons dans les roues pour au final, avoir perdu pas mal de récolte à cause du mildiou. On est en bio depuis presque 40 ans au domaine, je n’ai jamais vu ça ! » « La météo a été tellement exceptionnelle que l’on a été en limite de stratégie de lutte contre les maladies, en particulier le mildiou. Cela a été une année incroyablement difficile pour les nerfs des vignerons. Parfois vous ratiez un traitement d’une journée ou d’une demi-journée, et c’était trop tard ! », renchérit Édouard Delaunay, le président du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne dans notre dossier spécial consacré au vin.

Après les beaux millésimes 2022 et 2023 qui ont permis de reconstituer les stocks et de calmer un peu les prix des vins bourguignons, cette année 2024 erratique promet donc des volumes historiquement bas pour certaines régions comme le Chablisien ou le Châtillonnais, mais sera peut-être un millésime qui fera date pour certaines parcelles. « Ce que l’on a rentré est bon, voire très bon, atteste Frédéric Drouhin. On ne va pas se presser pour les décuvages, mais il y a déjà de très très jolis vins ». Certes, il faut encore attendre les décuvages et un an de maturation, mais comme il le dit encore : « Quand un vin est bien né, il est bien né. » Le secteur viticole n’est donc pas fait que de mauvaises nouvelles ! Il est un formidable champ d’innovations, et un acteur primordial pour l’économie de notre région : 3,3% du PIB soit... 2,3 Mds € pour la seule Bourgogne qui ne représente que 2% du vignoble français et à peine 0,5% des vignes dans le monde !

L’oenotourisme est d’ailleurs un des piliers de la politique touristique de la Bourgogne et de la Côte-d’Or et s’illustre depuis la métropole dijonnaise, désormais siège de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (lire page 10), jusqu’à la région désormais maillée par ses Cités des vins et des Climats. Et de nouveaux acteurs de l’oenotourisme inventent grâce à de jolies destinations, d’inédites adresses dédiées à l’art de vivre et à la dégustation. Les joyaux bourguignons attirent aussi hélas les margoulins : la déplorable affaire des vendangeurs espagnols abusés par un prestataire de services et logés dans des conditions inhumaines a scandalisé la profession et repose le problème du recrutement : 40.000 vendangeurs doivent en effet être mobilisés pour quelques semaines, un casse-tête à chaque vendange. Le CAVB, le syndicat des producteurs, bien conscient du problème, tente d’y remédier avec un dispositif de recrutement dédié.

Enfin, la récente acquisition par le groupe de luxe LVMH d’une parcelle du domaine Poisot à Aloxe-Corton pour la somme pharamineuse de 15,5 M€ repose le problème des droits de succession, devenus impossibles à acquitter lorsqu’ils atteignent des montants indexés non sur la rentabilité de l’actif mais sur la valeur vénale, mettant en danger le modèle français de possession familiale des domaines. La règle d’or : an-ti-ci-per ! C’est le conseil de Thierry André, président d’André le Groupe, qui accompagne les domaines dans ce délicat exercice. Autant de sujets à retrouver dans ce dossier réalisé par la rédaction. Bonne lecture !