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Ne sacrifions pas l’avenir des entreprises familiales françaises

Avocats. Nous accompagnons 30% de nos clients depuis plus de 30 ans, certains depuis plus longtemps encore. Nous suivons donc leur évolution sur le très long terme.

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(Crédits : Freepik)

Nous accompagnons 30% de nos clients depuis plus de 30 ans, certains depuis plus longtemps encore. Nous suivons donc leur évolution sur le très long terme. Fort de cette expérience concrète et inégalée, nous souhaitons témoigner du fait que l’existence des entreprises familiales est absolument indispensable pour notre économie et la souveraineté nationale et qu’il serait particulièrement dangereux de remettre en cause, comme certains le préconisent, le dispositif Dutreil, qui, seul, permet leur transmission et leur conservation au sein de la famille.

La cour des comptes dans l’erreur

Un récent rapport de la Cour des comptes tend à démontrer que de plus en plus d’entrepreneurs recourent à ce dispositif. Au lieu de se féliciter de ce qui constitue une excellente nouvelle, compte tenu du retard chronique de la France en matière de transmission familiale d’entreprises par rapport à tous ses voisins européens, il prône un resserrement du dispositif pour en réduire les possibilités d’application au motif qu’il représenterait une dépense fiscale de 5 M€ en 2024.

L’argument budgétaire avancé par la Cour des comptes est erroné pour plusieurs raisons.

Il repose d’abord sur un postulat irréaliste : les chefs d’entreprises ayant transmis en 2024 sous ce régime (taux d’imposition sur la valeur de l’entreprise transmise compris en général entre 5 et 11%) auraient pu réaliser la même opération au taux de 45 % sans le pacte Dutreil. Or, la transmission d’une entreprise, actif non liquide, est tout simplement impossible dans un environnement de droits de succession aussi lourds que ceux à 45 % qu’applique la France, a fortiori lorsque sa valeur est significative. Démonstration en a été faite entre 1983 et 2000 : à cette époque, le pacte Dutreil n’existait pas et presqu’aucune transmission familiale significative n’a été réalisée. Les chefs d’entreprise prenant leur retraite étaient contraints de vendre leur entreprise à des tiers, souvent un groupe étranger ou un fonds d’investissement. C’est pour cette raison et pour éviter la destruction progressive du tissu entrepreneurial français que le dispositif Dutreil a été créé en 2000.

La seconde erreur de raisonnement dans le rapport de la Cour des comptes réside dans l’absence de prise en compte des recettes fiscales immédiates résultant des donations qu’il favorise. La transmission d’une entreprise sous pacte Dutreil est en effet réalisée dans plus de 90 % des cas par transmission entre vifs et non au décès du chef d’entreprise. Des droits de donation significatifs sont alors acquittés par anticipation. A défaut, ils n’auraient été dus par les héritiers qu’au décès de leurs parents, soit plusieurs décennies plus tard.

Dans le contexte budgétaire actuel, il est préférable pour l’État d’encaisser rapidement des recettes fiscales, même moindres, plutôt que d’attendre plusieurs décennies d’hypothétiques droits de succession En outre, inciter le chef d’entreprise à transmettre par donation alors qu’il n’est pas encore trop âgé améliore aussi considérablement les chances de réussite de la transmission par rapport à celle qui résulte d’un décès.

La Cour des comptes omet aussi de tenir compte de multiples effets positifs. Une entreprise qui reste française et n’aura pas subi une saignée de sa trésorerie, distribuée sous forme de dividendes pour permettre aux héritiers d’acquitter des droits de succession trop élevés, pourra continuer à investir et à développer son activité économique. Elle génèrera alors des rentrées fiscales plus importantes pour l’État les années suivantes au titre de différents autres impôts (Impôt sur les sociétés, TVA, etc).

Des amendements dangereux

L’Assemblée Nationale avait pour sa part adopté trois amendements visant à restreindre le dispositif : allonger la durée de conservation des titres sociaux de six à huit ans, tel que proposé, alourdirait inutilement les contraintes pour les héritiers, alors que la France impose déjà une durée située dans la moyenne haute par rapport aux autres pays européens ; imposer qu’un donataire ait entre 18 et 60 ans exclurait les familles avec enfants mineurs, alors que dans le dispositif rien n’oblige ces derniers à exercer immédiatement des fonctions de direction. Cet amendement va à l’encontre du bon sens, car favoriser une transmission précoce maximise les chances de survie de l’entreprise.

Limiter l’exonération aux seuls actifs professionnels repose sur l’illusion qu’il est simple d’identifier et d’évaluer les actifs non professionnels. En réalité, cette mesure entraînerait des difficultés pratiques de mise en oeuvre dans les groupes comportant de nombreuses filiales, un surcoût fiscal souvent impossible à financer pour les entreprises concernées, et une multiplication des contentieux s’agissant d’apprécier l’affectation professionnelle de certains actifs (trésorerie, réserves foncières).

En résumé, ces amendements complexifieraient et renchériraient la transmission des entreprises familiales, sans bénéfice réel pour les finances publiques, et risqueraient de fragiliser durablement le tissu entrepreneurial français.