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Salaire « décent », kézako ?

Économie. L’idée d’un salaire dit « décent » récemment mentionnée dans le débat public par le ministre de l’Économie Antoine Armand, ne convainc pas forcément, explique l’expert Sylvain Bersinger.

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Photo d'une personne mettant une pièce dans une tirelire
(Crédit : Freepik)

« L’économie ne se préoccupe généralement pas de morale, c’est pourquoi le concept de salaire décent est peu utilisé. La définition du salaire décent ne fait donc pas l’objet d’un consensus, l’Organisation Internationale du Travail le définit comme la rémunération perçue par un travailleur pour une semaine de travail normal, qui lui permet de subvenir à ses besoins essentiels (nourriture, eau, logement, éducation, santé, le transport et la prévoyance en cas d’événements imprévus), ainsi que ceux de sa famille. Cette définition laisse une marge d’interprétation, car la définition des besoins essentiels n’est pas clairement établie, et la perception que l’on peut en avoir varie selon les pays et les classes sociales.

Le salaire, qui rémunère le travail, dépend selon la théorie économique habituelle de la productivité de ce dernier. Si un travailleur produit beaucoup, il obtient un salaire élevé, et inversement son salaire est faible si sa production l’est aussi. Cet équilibre est trouvé par la confrontation de l’offre de travail (venant des travailleurs) et la demande (venant des employeurs) sur le marché du travail. Que le salaire ainsi fixé puisse, ou non, être qualifié de décent n’est pas la préoccupation première de l’économie. L’économie s’intéresse au monde tel qu’il est plutôt qu’au monde tel que l’on voudrait qu’il soit. En effet, il est tentant de prôner une hausse massive et généralisée des bas salaires, par exemple en augmentant le salaire minimum.

Le problème est que, si la rémunération du travail excède de beaucoup sa production, il en résulte de multiples distorsions (hausse des coûts des entreprises, baisse des embauches, hausse des prix, perte de compétitivité des entreprises par exemple). Ainsi, pour accroître les salaires, le moyen le plus efficace et durable est la hausse de la productivité, permettant d’accroître le volume produit par travailleur, et donc sa rémunération. C’est, sur une longue période, la hausse de la productivité qui a permis la hausse du niveau de vie. La suggestion du ministre quant à un salaire décent, à ce stade, est vague. On perçoit mal en quoi son intérêt pour le concept de salaire décent se différencie d’une hausse du Smic.

En effet, s’il est considéré que le niveau du Smic ne permet pas de vivre dignement, le moyen le plus simple pour remédier au problème est d’augmenter le niveau du salaire minimum. La nécessité d’introduire un nouveau concept tel que le salaire décent n’est pas flagrante, puisque que des outils sont déjà disponibles pour traiter le sujet. En outre, le NFP avait proposé une hausse sensible du Smic, mais pas Renaissance, le parti d’Antoine Armand. Doit-on en conclure que les macronistes se sont convertis à l’idée d’une hausse du Smic au-delà de l’ajustement automatique en fonction de l’inflation ? Antoine Armand aura à gérer des finances publiques dégradées et, dans la communication envers les marchés financiers, la clarté est indispensable. En mettant en avant un concept vague, aux implications peu compréhensibles, le nouveau ministre ne semble pas s’engager dans la bonne direction.

La hausse des salaires et du pouvoir d’achat n’est possible, à long terme, qu’en améliorant les fondamentaux économiques du pays. Des salaires élevés, permettant une consommation importante de la population, ne sont possibles que si la production est elle-même élevée, puisque toute consommation implique une production préalable (sauf à creuser encore plus le déficit commercial). Ainsi, si le nouveau ministre de l’économie souhaite dynamiser les salaires, il convient d’améliorer les points faibles de l’économie française qui brident la productivité du travail : insuffisance des investissements en recherche-développement, médiocrité des compétences scolaires des jeunes, amélioration de la formation tout au long de la vie, simplification de l’environnement administratif des entreprises.

C’est sur ces sujets qu’est avant tout attendu Antoine Armand, plus que sur la mise en avant de concepts, certes généreux et probablement populaires, mais qui ne règleront rien sur le fond. »