L’horlogerie régionale à l’heure franco-suisse
Partenariat. En décembre 2020, les savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d’art de l’arc jurassien franco-suisse étaient inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. Un an après, c’est une première collaboration inédite qui se dessine entre la manufacture de mouvements suisse La Joux Perret et la maison familiale bisontine Humbert-Droz.
Tout commence avec un souhait, celui de remettre, en quelque sorte, les pendules à l’heure, de redonner à la France ce qu’elle a laissé à la Suisse au cours de son histoire : le savoir-faire, la connaissance et la passion horlogère. Cette envie de renvoi d’ascenseur est portée par Jean-Claude Eggen, directeur de la manufacture indépendante de mouvements mécaniques, La Joux-Perret fondée en 1990. Basée à La Chaux-de-Fonds, cette entreprise helvétique abrite plus de quarante professions différentes (110 personnes) réparties dans dix ateliers. Si son histoire commence avec la réalisation de complications horlogères telles que les chronographes et les tourbillons, la société a su se diversifier pour répondre à tous types de demandes, qu’il s’agisse de réalisations sur-mesure ou de la production de gros volumes de mouvements standards pour de nombreuses maisons horlogère de luxe et de haute horlogerie.
« Grâce à notre production complètement verticalisée, du bureau technique au service après-vente, et une équipe R&D performante, nous sommes particulièrement flexibles et rapides, tant dans la conception que dans la réalisation de produits nouveaux. Par ailleurs, nous garantissons à chacun de nos clients une confidentialité maximale, ce qui nous permet de travailler pour des marques concurrentes et imaginer nos propres projets à l’image de celui auquel nous donnons naissance aujourd’hui avec la famille Humbert- Droz », dévoilait Jean-Claude Eggen lors d’une conférence de presse donnée le 21 décembre 2021 au coeur de l’emblématique lycée bisontin Jules Haag, connu pour avoir formé plusieurs générations d’horlogers, jusqu’en 1988.
Il y a environ un an, Jean Claude Eggen, à la recherche d’une entreprise française à l’esprit horloger affirmé contacte ainsi la famille Humbert-Droz. Cette lignée d’horlogers arrivée à Besançon en 1956, cultive depuis quatre générations des valeurs de transmission familiale, de savoir-faire horloger, de passion pour un métier élevé au rang d’art et un goût certain pour les belles aventures. Propriétaires de l’atelier de réparation et d’assemblage de montres haut de gamme, Réparalux, Jean, Frédéric et Julien Humbert- Droz, respectivement père, fils et petit-fils ont lancé en juin 2016 une première série de montres sous leur propre marque Humbert-Droz (HD), pour fêter les 60 ans d’histoire de leur atelier bisontin et ainsi rendre hommage à Marcel, l’arrière-grand-père fondateur de Réparalux et originaire de Suisse. À ce jour, ce sont plus de dix modèles signés HD qui sont sortis, soit près de 3.000 montres vendues en France et dans le monde entier.
Assemblage de A à Z
Lors de ce premier contact téléphonique, Jean-Claude Eggen, propose aux bisontins d’intégrer dans leurs montres son tout nouveau mouvement, le G100, à la réserve de marche exceptionnelle de 68 heures, soit 80 % plus haute que ce qui est habituellement proposé par les plus grandes marques suisses. Julien Humbert-Droz, diplômé des métiers d’art du lycée horloger de Morteau, rebondit alors sur cette formidable opportunité pour proposer au voisin suisse quelque chose de tout à fait inédit : ne pas recevoir de La Joux-Perret le mouvement pré-monté, mais au contraire de se faire livrer l’ensemble des pièces détachées nécessaire à sa réalisation, élaborées et fabriquées en Suisse, afin d’effectuer de A à Z l’assemblage au sein des ateliers Réparalux, y compris le collage du spiral, organe principal d’un mouvement mécanique.
« S’il ne peut pas être Made in France ou Swiss Made seulement, pourquoi ne pas imaginer quelque chose de nouveau : le premier label franco-suisse »
« Nous avons pour ambition de redévelopper le savoir-faire en France. Or, cela ne peut pas se faire en opposant constamment la France et la Suisse. En matière d’horlogerie, tout n’est plus possible en France, avec cette idée de mouvement suisse en kit assemblé à Besançon, nous proposons autre chose : une union, une collaboration profitable aux deux parties », défend Julien Humbert-Droz, actuel dirigeant de l’atelier familial. « En cherchant à travailler avec des Français, mon objectif n’était pas de générer du chiffre d’affaires, mais plutôt de construire une belle histoire dont le ciment sera notre passion commune pour le métier. Avec la famille Humbert-Droz, le courant est tout de suite passé. Nous nous sommes rencontrés le temps d’un week-end, avons beaucoup parlé, bu quelque peu et, sans qu’il soit besoin de rédiger un volumineux business plan de 50 pages, nous avons pris la décision de travailler ensemble dans la seconde », confie le directeur de la manufacture suisse.
Une aventure inédite
« Sans un centime d’aide extérieure », le duo franco-suisse va monter un projet atypique qui bien vite implique d’autres acteurs. « L’idée a d’abord été d’équiper nos montres HD du mouvement G100 avec un objectif de 3.000 montres pour la première année. Nos horlogers ont ainsi suivi une formation avec le responsable d’atelier de La Joux-Perret, le 16 novembre dernier. Pour aller encore plus loin, nous allons collaborer avec la société Bailly à Besançon, afin de personnaliser les masses, pièce qui permet de remonter la montre à la portée, aux couleurs des marques. Enfin, pour justifier d’un certain volume de production du G100 (un objectif de 50.000 exemplaires la première année. Ndlr) La Joux-Perret nous a demandé de trouver un autre partenaire susceptible d’être intéressé par la démarche. Nous avons alors pensé à l’un des fidèles clients de Réparalux : la société March LA.B », raconte Julien Humbert-Droz.
Née sur la côte Basque française en 2008, aujourd’hui présente à Paris, la jeune marque, portée par Alain Marhic, veut honorer les montres vintages « avec cette volonté “de faire” le plus possible en France ». L’adhésion au projet franco-suisse est ainsi immédiate. « C’est la clé qui nous manquait pour faire évoluer notre marque dans le bon sens », témoigne Alain Marhic. Une belle aventure commence donc saluée par tous à l’image d’Anne Vignot, présidente de Grand Besançon Métropole et maire de la ville, qui voit dans ce challenge relevé, « la preuve que ce classement à l’Unesco et bien celui d’un patrimoine vivant, dynamique et toujours créatif ». De son côté, tout en rappelant que, chaque jour, ce sont 15.000 frontaliers qui partent travailler en Suisse, Jean-Jacques Weber, président de la Fédération de l’horlogerie, identifie dans ce projet « une vraie occasion de faire rebondir l’horlogerie française ».
Pour le créateur horloger bisontin Philippe Lebru, il s’agit d’une démarche « d’intelligence collective qui vient poursuivre une riche histoire horlogère faite de va et vient constants entre la France et la Suisse et qui devrait permettre à l’horlogerie française d’accéder aux marchés du luxe et de l’international de la Suisse ». Reste la question du label, « s’il ne peut pas être Made in France ou Swiss Made seulement, pourquoi ne pas imaginer quelque chose de nouveau : le premier label franco-suisse », s’interrogent les membres du projet, d’autant que quelques pièces pourraient à l’avenir être fabriquées en France... Un futur prometteur qui se tranchera sans doute lors d’un autre week-end convivial, autour d’un repas et de quelques verres.